« Primo! dépasse les clivages entre conservateurs et réformateurs » – Interview de Stéphane VALERI

Le Président de Primo! a répondu aux questions de l’Observateur de Monaco dans son édition mensuelle.
Retrouvez ici l’intégralité de l’entretien publié dans le numéro 169 – Novembre 2017 du magazine. 

Quel a été le timing de votre décision de candidature. Vous avez évoqué une décision définitive après l’été, mais vous y pensez depuis deux ans?

La maturation a pris du temps. C’est une décision importante dans ma vie. C’était l’aboutissement de 7 ans de travail dans mes fonctions de Conseiller-Ministre de Gouvernement pour les Affaires Sociales et la Santé, avec le sentiment d’avoir réalisé la quasi-totalité des missions qui m’avaient été confiées par le Prince Souverain. C’est aussi le constat de certaines divergences au sein du gouvernement et la volonté de retrouver ma liberté d’expression. Selon la formule bien connue de Jean-Pierre Chevènement et par analogie, j’ai toujours pensé qu’ « un Conseiller de Gouvernement, ça démissionne ou ça ferme sa gueule… ». Il y avait aussi bien sûr l’échéance des élections nationales. Pourtant, quand j’ai quitté le Gouvernement fin mai, je n’avais pas encore pris ma décision définitive, je pouvais retourner simplement dans le privé. Certains en doutent mais dans mon histoire personnelle, de 1998 à 2003, il m’était déjà arrivé de ne plus faire de politique et de me consacrer au développement de mon entreprise.

Quel a été le vrai déclic alors?

J’ai voulu rencontrer de nombreux compatriotes pendant ces trois mois. Ils m’ont fait part de leurs inquiétudes, de leurs attentes insatisfaites par le gouvernement et le Conseil national actuel. Sur la SBM, ils me disent que les jeux ne sont plus la priorité de l’entreprise ; sur la fonction publique, les fonctionnaires sont très inquiets de la remise en cause de leurs retraites à travers certains propos tenus par le Ministre d’Etat, mécontents de leur pouvoir d’achat insuffisamment défendu. Mais avant tout, les Monégasques dénoncent à juste titre le retour de la pénurie de logements domaniaux. »

Vous estimiez ne pas pouvoir agir efficacement au sein du Gouvernement ?

Au Gouvernement, on ne peut agir que dans le champ de ses propres responsabilités. Je m’occupais du social et de la santé. Pas du logement qui relève des finances, pas de la qualité de vie qui relève de l’équipement, pas de l’Europe qui relève des relations extérieures, pas de la fonction publique qui relève du Ministre d’Etat. Sur ces sujets-là, pour lesquels je partageais l’inquiétude des Monégasques, je ne pouvais agir même si je n’hésitais pas à exprimer mon avis au sein du Gouvernement. Aujourd’hui, je peux dire ce que je pense publiquement.
J’ai par ailleurs ressenti qu’il fallait donner un nouveau souffle à la vie politique Monégasque, c’est pourquoi j’ai créé « Priorité Monaco : Primo! » qui dépasse les clivages du passé entre les conservateurs et les réformateurs. Il faut redonner toute sa place au Conseil national. Il est depuis trop longtemps divisé, inaudible ; il a manqué de leadership et de vision politique claire. »

 


Comment comptez-vous faire pour remettre en selle un Conseil national décrédibilisé ?

Les conditions pour que le Conseil national redevienne un partenaire institutionnel fort, c’est d’avoir une équipe unie et représentative de notre communauté, avec un Président qui a de l’expérience et de l’autorité. Si on laisse le champ libre à la technocratie, on s’éloigne des aspirations des Monégasques. Je suis pour un Gouvernement fort avec un Conseil national fort, dans un Etat fort, qui fasse primer l’intérêt général sur les intérêts particuliers. »

Il est fort ce gouvernement ?

Pas assez selon moi, ou pas toujours dans le bon sens et je vais vous donner deux exemples. Il y a trop de chantiers, trop de bruit, de pollution. Les Monégasques et les résidents n’en peuvent plus. Or c’est à l’Etat de réguler la promotion immobilière, de fixer le nombre et la répartition des chantiers. C’est aussi au Gouvernement d’en assurer la coordination, tout comme d’ailleurs celle des nombreux événements accueillis à Monaco, dont tous ne présentent pas le même intérêt. Ce n’est pas aux promoteurs d’imposer leurs choix au Gouvernement. Ce que 99% des Monégasques souhaitent, c’est un ralentissement du développement de l’immobilier au profit d’une augmentation de leur qualité de vie. Et cela, seul le Gouvernement peut l’imposer. Un autre sujet où le Gouvernement n’a pas joué son rôle de façon ferme ces dernières années, c’est la SBM. »

Sur quel plan ?

Depuis des années, le Gouvernement ne joue plus son rôle d’actionnaire majoritaire. Il se contente d’enregistrer les pertes financières année après année, soit encore 32 millions d’euros au dernier exercice. Il ne fixe plus d’orientations stratégiques et approuve systématiquement les choix des dirigeants de la SBM. Pour le management, le développement de l’immobilier a occupé l’essentiel de l’énergie, des investissements, des budgets, au détriment du maintien et du développement du secteur des jeux. C’est une erreur historique, économique et sociale grave. Il faut redonner la priorité au cœur de métier, les jeux, non seulement parce que cela peut être extrêmement rentable – les jeux ont fait la richesse de la SBM – mais aussi parce que c’est le secteur qui pourvoit le plus grand nombre d’emplois bien rémunérés pour les Monégasques. Depuis de nombreuses années, le nombre d’employés de jeux diminue drastiquement. La nouvelle convention des jeux prévoit encore le départ de 80 employés de jeux. C’est inquiétant. Les écoles de jeux sont de plus en plus espacées et accueillent de moins en moins d’élèves. Il faut relancer les jeux, notamment en renforçant les équipes et le budget pour le marketing. »

Mais encore ?

L’autre aspect qui me choque à la SBM, c’est la remise en cause progressive des droits des Monégasques. Pendant très longtemps, la nationalité était un critère dans l’évolution des carrières des employés de jeux. C’est loin d’être toujours le cas. Fait beaucoup plus inquiétant, je n’ai pas de souvenir avant cette année qu’on ait licencié ou accompagné vers une retraite forcée des Monégasques dans les jeux à moins qu’ils n’aient commis des fautes graves. C’est une dérive inadmissible qui remet en cause la sécurité professionnelle des compatriotes de la SBM. »

 

 

Vos adversaires parlent de vous comme un homme du passé. Ça vous agace ?

J’estime que Monaco est confronté à des défis majeurs, que ce soit le logement, la qualité de vie ou la négociation de l’accord avec l’union européenne notamment. Avoir de l’expérience aujourd’hui, loin d’être un handicap, est indispensable. Avoir fait ses preuves, c’est rassurant pour les Monégasques et ce sera forcément un atout lors de ces élections. Par ailleurs, j’ai toute une nouvelle génération qui m’entoure, je fais de Primo! et je ferai du Conseil national, si nous sommes élus, une pépinière de jeunes talents en politique. Certains ne font que parler des jeunes, moi je leur donne la parole et des responsabilités. »

Comment voyez-vous les sujets de société notamment ? La dépénalisation de l’avortement ?

On dit que je suis éloigné des sujets de société. Rappelons tout de même qu’avec Michel Mourou, nous sommes à l’origine de la loi de 1992 qui a donné aux mères monégasques l’égalité dans la transmission de la nationalité à leurs enfants. En 2003, j’ai créé dès mon élection la commission des droits de la femme et de la famille au Conseil national. Avec sa présidente Catherine Fautrier, nous avons fait considérablement avancer les droits de la femme.  J’ai mis en marche le chantier de l’égalité des femmes dans ce pays, qui a aussi abouti à l’égalité dans la transmission de la nationalité par le mariage. J’ai bataillé pour légaliser l’interruption médicale de grossesse, c’était loin d’être acquis… On ne peut pas me soupçonner d’être un réactionnaire. Après, je pense qu’il ne faut pas être sectaire et idéologue, ou provoquer ce genre de débat pour des raisons électoralistes comme par hasard au moment de la campagne électorale. La communauté Monégasque est divisée sur cette question de l’avortement. Je respecte les opinions de chacun. Les hommes politiques responsables ne sont pas là pour accentuer les divisions. Sur cette question comme sur d’autres, je suis un pragmatique. Pourquoi introduire une lutte idéologique entre les pour et les contre qui va nous diviser profondément et qui va mettre en difficulté le Prince ? On connaît les liens de notre Principauté avec le Vatican. Je ne m’engagerai pas dans cette voie. »

Dans votre dialogue avec le Gouvernement, si vous êtes élu, est-ce une difficulté ou un avantage d’en avoir été membre ?

C’est un grand avantage d’avoir la connaissance des deux institutions. L’esprit de notre Constitution, c’est la politique du pas vers l’autre qui doit aboutir à « l’accord des volontés ». C’est donc pour moi un atout indiscutable d’avoir été également membre du Gouvernement. Le Conseil national doit être un partenaire fort et incontournable du Gouvernement. Aucune loi, y compris la loi de budget, ne peut aboutir sans le vote du Conseil national. Lorsque je présidais le Conseil National de 2003 à 2010, avec une assemblée forte et unie, nous avons fait de nombreuses fois modifier la loi de budget sur des points essentiels. »

Vous avez été impliqué dans certains dossiers en tant que conseiller de gouvernement, notamment Apolline. Quelle est votre position ?

Je n’ai absolument pas été impliqué dans les causes de cette crise, dont il est important de rappeler la réalité. J’en profite pour rappeler que je souhaite une campagne positive et constructive. Mais je remarque que ce n’est pas la même chose pour certains, par exemple via les réseaux sociaux. Des candidats ou agents électoraux ont commencé une campagne mensongère et de dénigrement sur internet et colportent des rumeurs malveillantes en ville. C’est indécent de jouer avec le malheur de certaines familles. Les Monégasques ne sont pas dupes.
Apolline, c’est avant tout une terrible crise de la construction. »

Précisez votre pensée…

Les Jardins d’Apolline ont été construits avec un budget très serré, avec cette obsession des économies budgétaires et cette politique du moins disant, que je ne partage pas. A force de vouloir toujours baisser les coûts, on finit par prendre des risques. Manifestement, il y a des matériaux défaillants, des malfaçons et des insuffisances au niveau de certaines entreprises… Il faut donc tirer les leçons de cette crise, réfléchir à la politique du moins disant sur les marchés d’Etat, mais aussi au contrôle de ses chantiers par l’Etat qui dans ce cas a été défaillant. A partir de 2015, ont commencé à apparaître des champignons et moisissures dans certains appartements. Il y a eu immédiatement intervention de la direction de l’action sanitaire (DASA). Nous avons demandé dans les cas les plus graves des relogements de ces familles et c’est vrai qu’il y a parfois eu des lenteurs de la part de l’autorité chargée de les reloger (les finances). Courant 2016, la DASA a mis en place un contrôle de la qualité de l’eau. Les prélèvements étaient bons. Le premier problème constaté a été immédiatement signalé en juin 2017. Je défends l’action des services placés alors sous mon autorité qui ont bien fait leur travail…En revanche, les causes de cette grave crise doivent être analysées en toute transparence, et les conséquences doivent en être tirées pour que ça ne se reproduise jamais. »

Vous comptabilisez désormais 54 référents, pour quoi faire ? Il n’y aura que 23 colistiers…

Constituer une liste est l’objectif final. Mais la priorité est de construire notre projet politique. C’est un atout de le faire avec des femmes et des hommes de tous les âges et de toutes les catégories socio-professionnelles. Ils savent parfaitement qu’il n’y aura pas 54 candidats et s’engagent donc pour leurs convictions et non pour avoir une place sur une liste puis au Conseil national. »

Il y aura en tout cas 2 ex-conseillers de gouvernement sur votre liste, José Badia et vous-même ?

Probablement au moins deux (sourire)… »

 

Vos adversaires vous reprochent de vouloir professionnaliser les élus.

C’est faux. Compte-tenu de la dimension de notre Pays, je suis favorable à ce que les élus continuent d’exercer une activité professionnelle de manière à conserver un ancrage dans la société civile. Je sais en revanche par mon expérience que le Président du Conseil national doit se consacrer à plein temps à sa fonction. Il est le premier interlocuteur des Monégasques, il doit étudier l’ensemble des textes, présider toutes les séances et être en contact permanent avec le Gouvernement. De 2003 à 2010, j’y ai consacré toute mon énergie et tout mon temps. Mes successeurs n’ont pas continué en ce sens. On a vu le résultat. Comment en effet réussir dans cette fonction en s’y consacrant à temps partiel ? Le débat sur le statut du Président mérite donc clairement d’être ouvert. En le stigmatisant, mes adversaires font de la démagogie. »

Le logement se présente comme en 2003 le sujet numéro 1 de cette campagne ?

Si les Monégasques nous font confiance, le logement redeviendra la priorité numéro 1. L’Etat a un rôle majeur à jouer. C’est pour moi la plus juste des redistributions de la richesse nationale. Depuis quelques années, la pénurie est de fait réapparue. Lors de la prochaine commission d’attribution, il y aura environ 500 demandes pour 200 appartements. Il y aura donc 300 familles sur le carreau alors que beaucoup de demandes sont pleinement justifiées. C’est un échec pour le gouvernement et le Conseil national sortant. Nous veillerons à faire adopter un plan national d’urgence indispensable pour résorber rapidement cette pénurie. Il y a plusieurs pistes possibles. C’est une question de volonté politique. »

Qu’est-ce qui vous différencie de vos adversaires sur ce sujet du logement ?

Tout d’abord, parmi les 3 têtes de listes déclarées, je suis le seul à avoir justement fait mes preuves dans ce domaine. Sous ma présidence nous avons réussi à faire loger environ 1000 familles Monégasques, un record. En 2008, je subissais les sarcasmes de la liste de monsieur Nouvion et de madame Fresko et me faisais traiter de démagogue sur ce sujet quand je continuais d’en faire ma priorité. Entre 2013 et 2016, sous la présidence de Monsieur Nouvion, soutenu par Madame Fresko, jamais il n’a été fait aussi peu pour le logement des Monégasques. »

Vous vous dites europragmatique. On dit que vous jouez avec les peurs des Monégasques par rapport à l’ogre européen ?

Comprendre les enjeux et voir avec lucidité les risques liés à la négociation avec l’Union européenne, c’est être un homme politique responsable. Celui qui dit que parler de l’Europe pendant la campagne, c’est jouer avec les peurs, refuse le débat. Je suis stupéfait par la position de M. Grinda sur ce sujet. Sa liste dit qu’il ne faut pas en discuter car il y aura des lignes rouges. Mais justement nous souhaitons qu’elles soient définies avec précision. Le Conseil national a le droit constitutionnel via la ratification de réfléchir à ces lignes que nous voulons « rouges et blanches ». Je suis inquiet. Notre modèle, c’est le plein emploi, une économie en croissance… Il y a des divergences profondes entre les modèles économiques et sociaux européen et monégasque. Quid de notre priorité nationale pour les Monégasques et de notre discrimination positive pour les enfants du pays dans un modèle européen qui interdit toute discrimination ? Quid de notre système d’autorisation de création d’entreprises et d’installation des résidents dans un modèle qui prône la liberté sans régulation ? Quid de notre Souveraineté par rapport à la transposition législative des directives européennes ? A l’issue des négociations, on fera deux colonnes, les plus pour Monaco et les moins. Comme je l’ai déjà dit, notre priorité sera la défense des droits des Monégasques et des spécificités de notre pays. Notre position sera guidée par le seul intérêt supérieur du Pays. »

Comptez-vous vous « marier » avec l’une des listes adverses ?

Sur ce sujet comme sur les autres, je suis dans une logique d’unité, de rassemblement des monégasques. Primo! qui regroupe des compatriotes de toutes sensibilités et de toutes les générations en est déjà l’illustration. Pour autant, il faut un Conseil national fort et uni pour qu’il retrouve le rôle qu’il doit jouer dans les institutions. Or, je constate des divergences sur des sujets de fond notamment l’Europe avec monsieur Grinda, et le logement avec madame Fresko. Ces points, qui engagent l’avenir du pays et des compatriotes, sont pour nous non négociables. Mais comme je l’ai déjà dit, ma porte a été et demeure ouverte à tous ceux qui, face aux défis qui nous attendent, préfèrent l’unité à la division. »

Propos recueillis pas Milena RADOMAN. 

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